C’est dur de vous dire que La Bobine c’est fini

Le Communiqué de Presse
Mardi 10 Juin 2025 

C’EST DUR DE VOUS DIRE QUE LA BOBINE C’EST FINI

Ça fait déjà un moment qu’on vous annonce que notre modèle économique n’est plus adapté pour financer les activités de l’association. En janvier, le redressement judiciaire nous accordait un sursis pour redresser la barre, mais les chiffres ne suffisent pas. La période d’observation annoncée a été écourtée et le Tribunal judiciaire devrait statuer définitivement sur la fin de la Bobine dans les prochains jours. 

COMMENT ON EN EST ARRIVÉE.E.S LÀ

Depuis ses débuts, il y a plus de 25 ans, la Bobine a structuré par étape son lieu, son équipe et son projet culturel. Économiquement, le modèle de l’association repose sur un accès large aux événements (80% des concerts gratuits ou à prix libre) et une faible part de subventions publiques (10% du budget en 2024) : c’est donc le bar/restaurant qui génère l’essentiel des recettes. 

Or, depuis plusieurs années, le chiffre d’affaires du bar/restaurant ne cesse de diminuer, pour différentes raisons : la baisse de la fréquentation, en particulier en dehors des événements, changement des usages de consommation, baisse du pouvoir d’achat, météo… La Bobine a aussi fait des paris qui se sont avérés perdants face à un environnement changeant. Malgré la dégradation de notre situation économique et une forte remise en question interne depuis plusieurs années, la plupart des acteurs publics n’ont pas soutenu l’association à hauteur de son ampleur, voire ont réduit ou supprimé leurs subventions. En face, les dépenses augmentent, notamment avec la hausse de prix des matières premières et de l’énergie, des difficultés RH ou la dé-précarisation des conditions d’accueil artistiques et techniques. 

Depuis de nombreux mois, l’équipe salariée et bénévole s’évertue à mettre en place des actions de court terme et des changements structurels profonds, inévitables et urgents : cagnotte, événements de soutien, coopération avec pleins de collectifs, réduction et réorientation de la programmation, réduction et réorganisation de l’équipe salariée, amélioration des outils de gestion… L’amorce 

d’une vraie amélioration s’est fait sentir. Mais ces efforts n’ont pas suffi face à l’ampleur du défi : parvenir à un budget équilibré, tout en remboursant les dettes accumulées, mais sans sacrifier le projet culturel et associatif, ni les conditions dignes pour les personnes qui le portent. 

UN SYMPTÔME D’UN CONTEXTE NATIONAL GRAVE

La fermeture d’un lieu culturel est grave car elle s’inscrit dans un contexte national qui menace aujourd’hui de nombreuses structures associatives et artistiques. Les équilibres économiques sont de plus en plus instables, que ce soit pour les structures autofinancées, comme pour celles qui subissent la baisse massive des financements publics. Les conséquences sont très réelles : emplois précaires ou supprimés, projets sociaux réduits, tarifs moins accessibles, liberté et diversité d’expression attaquées, voire fermeture d’associations… Les collectivités publiques doivent s’en saisir pour défendre la participation citoyenne et la pluralité des imaginaires. Le secteur associatif, non lucratif par nature, contribue à bâtir une société inclusive, durable et émancipatrice. 

UNE FIN PLEINE D’ÉMOTIONS

Vivre la fin d’une association et écrire un tel communiqué est éprouvant pour les équipes salarié.e.s et bénévoles, déjà ballottées depuis de nombreux mois. Ce moment ouvre pleins de questions : comment apprendre de cette aventure pour construire d’autres choses pour la suite ? comment transmettre tout ce qu’on a appris de beau et de galère ? comment célébrer toutes les phases et facettes de la Bobine ? quand est ce qu’on décide qu’on arrête ? comment prendre soin des individus et du collectif quand on est dans le dur ? comment penser collectivement quand on est dans l’urgence ? comment naviguer entre espoirs qui portent et peurs qui rationalisent ? 

On est souvent traversé.e.s de colère. De nostalgie, de tristesse, d’ahurissement. Vous aussi peut être. On goûte à l’amertume de ressasser « et si on avait fait ça, si on avait fait encore plus, ou bien plus tôt ? ». Or, face au réel, on choisit un chemin parmi mille possibles. On se frotte alors aux subtilités, aux surprises et aux difficultés du concret. Toute tentative est un arbitrage entre plusieurs options pas toujours top, dans un contexte plus grand que nous, où on essaie de faire au mieux. 

On a remué beaucoup pour penser la survie de l’association, mais toujours en 

aller-retour avec cette question centrale : à quel prix et dans quelles conditions ? 

Aujourd’hui, on fait le constat que le gouffre économique était trop profond, et que pour le combler, on a abîmé trop de gens, de relations, d’espoirs, et qu’aujourd’hui, il est trop tard. Alors il est temps de se dire au revoir. 

ALORS, ON FAIT QUOI MAINTENANT ?

On célèbre et on remercie fort fort fort toutes les personnes et collectifs qui ont soutenu la Bobine, de loin ou de près : bénévoles engagé.e.s, publics d’un jour ou de toujours, collectifs et artistes qui nous ont remué.e.s ou animé.e.s, partenaires qui nous ont financé.e.s, salarié.e.s et tou.te.s les complices de nos projets. 

On célèbre la Bobine ; d’abord, au quotidien, en profitant des prochains et derniers événements. Mais aussi longtemps après, en gardant mille écocups dans nos placards ou en laissant des traces multiples de ce qu’a été la Bobine pour chacun.e de nous. Et aussi, si vous le voulez, lors d’une fête de fin qu’on espère belle et douce le 14 juin dès 16h, ou pour nos derniers événements (Lily of the Valley le 10 juin, le Bingo de Clothilde le 11, Marina Rabita le 17 et le concert Lhotse & Sorenn le 20). 

On transmet tout ce qu’on peut ! On est dispo pour transmettre nos expérimentations collectives et tous les outils, plus ou moins formalisés, qu’on a bricolé. De la programmation participative aux protocoles de lutte contre les violences sexuelles, nos tentatives de gouvernance partagée, les difficultés administratives du redressement, notre vécu de la fin d’un collectif … 

On lutte, enfin et surtout. Si c’est trop tard pour la Bobine, ça ne l’est pas (encore) pour tant d’autres collectifs ! Se renseigner sur les modèles économiques des lieux qu’on veut défendre, s’engager en tant que bénévole, lutter pour des politiques publiques plus sociales et justes, penser l’intelligence collective là où on est déjà, sont autant de pistes pour construire des futurs désirables. 

Bref, nous on repart avec tout ça. Ces émotions contradictoires et ce besoin de lutter d’autant plus fort en cultivant ailleurs ce que l’on a cultivé ici. 

Le conseil d’administration et les salarié.e.s de La Bobine